Coline Pavot

ISR, décryptage et perspectives

Coline Pavot, Responsable de la Recherche ESG, décrypte l’ISR et les atouts d’une méthodologie ESG internalisée et revient sur les perspectives ouvertes par la taxonomie verte.

La collecte des fonds ESG augmente cette année. Pour quelle(s) raison(s) ?

La crise déclenchée par l’épidémie de Covid-19 a peut-être agi comme un accélérateur. L’essor de l’Investissement Socialement Responsable (ISR), amorcé dans un premier temps grâce aux investisseurs institutionnels, s’est intensifié ces dernières années. Les encours ISR sous gestion ont été multipliés par 4 en France depuis 2013 et plus encore depuis début 2020 et le déclenchement de la crise. De plus en plus d’investisseurs particuliers, en quête de sens, se tournent vers des placements qui concilient sens et performance. Nous le ressentons fortement et avons à La Financière de l’Echiquier (LFDE) connu une collecte nette de plus de 500 millions d’euros sur nos fonds et mandats ISR depuis le début de l’année. Les comportements commencent à changer, notamment les modes de vie ou de de consommation. Aux effets de la crise s’ajoutent la réglementation et les politiques publiques. La loi PACTE favorise notamment l’ISR et l’investissement solidaire dans les contrats d’assurance vie ; le Green New Deal va diriger en Europe de nombreux investissements vers des entreprises apportant des solutions aux enjeux de la transition énergétique… Les effets de ces politiques se font déjà sentir et auront une influence encore plus positive à terme.

Toutes les entreprises présentes dans les indices ISR y-ont-elles leur place selon vous ?

Il n’existe pas une, mais plusieurs façons de faire de l’ISR : ISR Best-in-Class, ISR Best-in-Universe, ISR thématique ou encore à impact. Chaque approche a sa raison d’être : accompagnement de tous les secteurs de l’économie dans la transition, développement de technologies vertes… Cette diversité se retrouve dans les offres de produits ISR et d’indices responsables. En fonction de l’approche choisie, le niveau d’exigence ESG dans la sélection des émetteurs sera différent. Une approche tournée vers l’impact se concentrera par exemple sur des émetteurs plus purs et de meilleure qualité ESG alors qu’une approche Best-in-Class devra sélectionner des entreprises de tous les secteurs, même si leurs pratiques ne sont pas forcément les plus exigeantes. Avant donc de s’interroger sur le caractère « sustainable » ou « non-sustainable » d’une entreprise au sein d’un indice, il faut s’interroger sur l’approche poursuivie et par conséquent sur l’objectif extra-financier.

Utilisez-vous des bases de données externes ?

Pendant 10 ans, la recherche ESG de LFDE a été 100% internalisée. L’élargissement de notre univers d’investissement nous a conduits, pour certains fonds, à nous appuyer sur la recherche ESG de MSCI, pour l’analyse des données sociales et environnementales. Nous gardons un regard critique sur cette recherche et n’hésitons pas à la remettre en cause lorsqu’elle ne nous paraît pas suffisamment pertinente. Nous conservons une recherche internalisée à 100% pour la Gouvernance, le critère prépondérant depuis l’origine dans notre notation ESG des entreprises, et qui représente plus de 60% de notre note ESG. Nous considérons que la gouvernance est le point de départ de bonnes pratiques environnementales et sociales au sein d’une entreprise. La combinaison d’une analyse interne et externe permet de prendre le meilleur des deux mondes et de forger un regard éclairé sur les informations brutes des fournisseurs de données ESG.

Pensez-vous que ces méthodes de notation reflètent fidèlement les facettes ESG de ces entreprises ou bien certains aspects ne peuvent-ils être révélés que par une analyse plus approfondie ?

Nous conservons toujours un esprit constructif, d’autant que notre connaissance de l’entreprise est notre marque de fabrique depuis près de 30 ans. C’est elle qui nous permet de juger de la pertinence des analyses fournies par les fournisseurs de données ESG. Nous avons accumulé une base de données très riche et une connaissance fine des entreprises. Nous sommes donc en mesure de remettre en question l’information des agences de notation, qui, de plus, ne peuvent communiquer qu’à partir de données publiques. Elles sont donc privées de la richesse de l’information que nous collectons en tant qu’investisseurs engagés grâce à nos échanges quotidiens avec les entreprises et leurs parties prenantes. Nous utilisons donc l’information des agences de notation qui peut nous éclairer sur la qualité ESG d’un profil mais la re-traitons systématiquement. Nous considérons que l’analyse de la gouvernance mérite un réel approfondissement, c’est pourquoi nous conservons cette expertise d’analyse en interne.

Avez-vous des liens avec le TEG, Technical Expert Group de la Commission européenne ?

Nous suivons de près leurs travaux et entretenons des contacts réguliers avec des membres du groupe au sein de diverses initiatives de Place. Il est très important à nos yeux de suivre ces travaux qui vont influencer à l’échelle européenne l’avenir de l’investissement responsable et plus largement de l’industrie de la gestion d’actifs.

Pensez-vous que l’Europe adoptera un jour une taxonomie sociale ?

La taxonomie verte est naissante, c’est un projet au long cours pour la Commission européenne, le travail qui reste à accomplir est considérable. Qui plus est, la route est encore longue pour que les investisseurs et les entreprises se l’approprient et que cette taxonomie révèle toute sa richesse. Nous nous réjouissons à l’idée d’une possible taxonomie sociale, car nous estimons que la croissance verte devra être juste socialement, et que pour cela, disposer d’une vision globale des enjeux, qui ne soit pas segmentée, est essentiel. Il y aura certainement de nombreuses passerelles à créer entre ces deux chantiers qui permettront d’enrichir l’une et l’autre de ces taxonomies.