Paul Merle

Chaque minute, 27 terrains de foot de forêt en moins

Article publié dans Le Temps, le 26 septembre 2022

 

La préservation des forêts, un patrimoine naturel précieux, est l’un des enjeux de biodiversité les plus urgents. La finance durable y accorde une importance grandissante

 

Production de bois, d’oxygène, de nourriture et de médicaments, séquestration du carbone, régulation du climat, refuge d’espèces végétales et animales… les services écosystémiques rendus par la forêt sont immenses et vitaux. Abritant 80% de la biodiversité terrestre, la forêt est un puissant écosystème, à l’origine de services économiques et sociaux inestimables. En Suisse, dont un tiers du territoire est couvert de forêts, 35% des espèces en sont tributaires, et la moitié des espèces prioritaires y trouvent refuge.

La forêt est un puit de carbone naturel et joue un rôle décisif dans le régime des pluies, stocke l’eau, protège les sols, favorise la baisse des températures… Pourtant, entre urbanisation et monocultures intensives, sa destruction s’accélère. Sans compter les incendies de l’été, qui ont de plus provoqué des records d’émissions de CO2 en Europe, quelque 6,4 mégatonnes de carbone rejetées, selon le programme d’observation de la Terre Copernicus.

La perte des services écosystémiques délivrés par les forêts génère des risques, pour les Hommes, les entreprises, pour l’économie et la planète

La préservation des forêts est l’un des enjeux de biodiversité les plus cruciaux, qui concerne de nombreux secteurs, de la construction aux biens de consommation. Le bois est une alternative au
béton comme au plastique, pour les emballages par exemple. Investisseurs responsables, pionniers de l’investissement à impact coté en France, nous portons ainsi une attention grandissante
aux impacts des stratégies des entreprises sur cet écosystème – qu’elles soient exploitantes ou productrices de bois, qu’elles utilisent le bois ou ses dérivés – ainsi qu’à leur politique de reforestation.

Parmi les plus vertueuses, selon nous, SCA, premier propriétaire forestier d’Europe, produit des matériaux issus de bois et matières premières renouvelables, qui se substituent au plastique dans les emballages. Ce groupe suédois quasi centenaire a certifié ses forêts par les standards mondiaux PEFC et FSC, replante au moins deux arbres pour chaque arbre coupé et réduit les zones de coupe abritant des espèces en danger.
Autre exemple avec l’allemand Steico, leader mondial des isolants naturels à base de bois. Ses produits d’isolation et de construction, fabriqués à partir de bois qui séquestrent du carbone, émettent ainsi significativement moins de CO2 que le ciment ou l’acier.

Nous portons aussi une attention particulière aux entreprises dont l’activité ou les matières premières dépendent de la biodiversité, pour privilégier celles dont les stratégies prennent en considération une gestion durable, comme LVMH. Moët Hennessy plante ainsi des haies et des forêts afin de couper le vent, réguler l’écoulement des eaux de pluie, favoriser la pollinisation, améliorer la qualité des sols, etc., pour préserver l’écosystème de ses vignes. Ce qui induit un coût plus élevé, mais traduit une vision de long terme stratégique. Plus un écosystème est riche en biodiversité, plus il est en effet résilient. Egalement dépendant de la biodiversité, L’Oréal s’engage d’ici à 2030 à concevoir, sans impliquer aucune déforestation, 100% d’emballages recyclés et à recourir pour ses formules aux matières premières renouvelables, biosourcées, issues de sources durables.

Autre point de vigilance, nous veillons à l’impact social des politiques menées. La transition juste est un des enjeux de la transformation de l’économie, et l’un des axes de notre stratégie à impact. La transition juste prend ainsi en compte les conséquences de la trajectoire climatique des entreprises en portefeuille sur l’emploi et l’accessibilité des produits. Les forêts tropicales constituent pour certaines populations un moyen de subsistance vital pour se nourrir ou se chauffer : 2,4 milliards de personnes dépendent du bois en tant que combustible pour cuisiner et deux tiers de la production mondiale de bois rond proviennent d’espèces d’arbres sauvages, rappelle l’IPBES. Etre attentifs aux politiques de reforestation permet de vérifier si celles-ci se font en concertation avec les communautés locales.

L’engagement auprès des entreprises au niveau collectif peut également être efficace. La Non-Disclosure Campaign du Carbon Disclosure Project (CDP) encourage ainsi les entreprises à répondre
à des questionnaires sur le changement climatique, les forêts et l’eau.

Son objectif ? Fournir aux investisseurs des données uniformisées pour comparer la performance environnementale des entreprises. La perte des services écosystémiques délivrés par les forêts génère des risques, pour les Hommes, les entreprises, pour l’économie et la planète. La prise de conscience émerge, et le changement climatique rebat les cartes. Si le rôle des entreprises, maillons essentiels de la protection de la biodiversité, est décisif, celui des investisseurs peut changer la donne.

L’enjeu est de taille : le Forum économique mondial estime que 50% du produit intérieur brut mondial dépendent de la biodiversité !