De la mesure en toute chose !
Placé sous une triple cloche de verre dans le Parc de Saint-Cloud, au Bureau International des poids et mesures, un petit cylindre de platine iridié, à peine plus gros qu’une prune, définissait jusqu’au printemps dernier la valeur internationale du kilogramme.
Fabriqué en 1889, le PIK – Prototype International du Kilogramme -, surnommé « grand K », était l’un des derniers objets matériels à définir une unité de mesure. Lors de ses très rares sorties (3 depuis le 19 siècle), une infime variation de masse a été constatée en comparaison des 6 autres étalons supposés identiques. Le sort de « grand K » en fut scellé. Depuis mai dernier, la communauté scientifique internationale a adopté une définition du kilogramme fondée sur la constante de Planck (notée petit « h »), une constante de la mécanique quantique à la précision diabolique.
Si l’exactitude est un pilier naturel de la métrologie et de la science, les données économiques et financières n’approchent que très rarement un tel degré de précision. Pourtant, quelques surprises, à la hausse ou à la baisse, dans la publication d’un chiffre économique peuvent suffire pour générer des mouvements sur les marchés financiers capables de créer ou de détruire des centaines de milliards de dollars.
La publication d’une croissance allemande en baisse de 0,1% au deuxième trimestre 2019 justifierait ainsi la remise en cause d’un modèle germanique « à bout de souffle ». Certes, l’Allemagne, troisième exportateur mondial, est une victime évidente de la guerre commerciale menée par l’administration américaine. Mais si la publication des chiffres du PIB du troisième trimestre se révèle à nouveau négative, l’Allemagne (avec un taux de chômage de 5% et un excédent budgétaire de 45 milliards d’euros au premier semestre 2019) sera officiellement en récession technique. Simultanément, la révision à 0,3% de la croissance française au deuxième trimestre contre 0,2% initialement publiée a permis aux commentateurs de saluer une bonne surprise…
Si les normes comptables et réglementaires offrent un cadre sécurisant à l’investisseur, se fier aux seules publications peut être trompeur. Sans évoquer les fraudes comptables qui jalonnent l’histoire financière, la focalisation du marché sur les chiffres publiés par les entreprises est parfois exacerbée. Les exemples sont nombreux. Il y a un an à peine, SARTORIUS AG, maison mère de SARTORIUS STEDIM BIOTECH, spécialiste, entre autres, des équipements de mesure et de pesage (un comble !) pour l’industrie pharmaceutique et les biotechs, publiait des perspectives chiffrées légèrement revues à la baisse pour la fin d’année : la sanction fut immédiate, et la baisse du cours de Bourse de plus de 30% de SARTORIUS, emportait dans sa dégringolade sa filiale française. Mère et fille voient aujourd’hui leur cours progresser de 60% depuis le début de l’année, corrigeant un excès de pessimisme provoqué par quelques décimales.
Au-delà des chiffres, la connaissance approfondie des entreprises, de leurs marchés, de leurs clients, et la rencontre de leur management, restent des étapes essentielles dans notre processus de gestion et la construction de nos portefeuilles. Pour paraphraser une (autre) formule célèbre, les chiffres sont d’excellents serviteurs mais parfois, de mauvais maîtres…
Olivier de Berranger