L’espace en quête de responsabilité
Article paru dans le journal Le Temps, en novembre 2021.
Peut-on concilier exploration spatiale et enjeux de développement durable ? A l’heure où nous entrons dans une nouvelle ère spatiale et où le nombre de lancements s’accélère, la question peut légitiment se poser. Le développement de technologies disruptives et l’émergence de nouveaux acteurs privés sont porteurs de promesses pour la vie sur Terre. Le basculement des activités spatiales publiques dans la sphère privée – l’espace 2.0 – est une révolution, portée par des acteurs qui intègrent les enjeux de développement durable, parmi lesquels la réutilisation des lanceurs de fusées et l’utilisation d’énergies plus propres, à l’image des sociétés spatiales qui développent des moteurs utilisant l’hydrogène ou encore le méthane.
Être pionnier implique souvent de grandes responsabilités. Nombreux sont les entrepreneurs de l’espace 2.0 qui développent des nouvelles technologies contribuant à une industrie spatiale durable. Ces acteurs favorisent par exemple le développement d’énergies propres ou déploient des politiques de gestion des débris dans l’espace, un enjeu majeur.
C’est le cas par exemple de la start-up incubée par l’EPFL, ClearSpace, qui a conçu des techniques de désorbitation de débris spatiaux, afin de nettoyer l’orbite basse de satellites hors d’usage, qui multiplient les risques de collisions. Les ingénieurs de cette jeune pousse suisse ont notamment conçu le premier satellite «camion-poubelle de l’espace», qui harponnera les débris pour les désorbiter, avec une première mission, ClearSpace-1, prévue en 2025.
Afin de limiter l’impact de l’espace 2.0 sur l’environnement, l’entreprise américaine Redwire a quant à elle élaboré un recycleur de plastique conçu pour fonctionner à bord de stations spatiales. Ce composant permet de transformer les matières premières plastiques en filaments d’impression 3D, utilisables par les imprimantes en orbite. Ces modules à la pointe de la technologie spatiale ont pour objectif de maîtriser la consommation d’énergie des missions en orbite grâce à une autonomie qui réduit les approvisionnements par fusées depuis la Terre. Autant d’exemples qui assurent des perspectives durables à l’écosystème spatial et dont l’importance grandira encore avec la construction, en cours, de stations spatiales privées, qui, nous en sommes convaincus, seront à l’origine de nouvelles disruptions. Aujourd’hui, nous ne pourrions envisager de météorologie, d’agriculture de précision ou d’optimisation des routes sans la donnée spatiale, l’or noir du XXIe siècle. Obtenues grâce aux satellites organisés en constellation en orbite basse, ces données assurent une meilleure couverture de la Terre, contribuant notamment à résorber la fracture numérique.
L’imagerie satellite permet par exemple de surveiller l’évolution de la biodiversité ou encore des nappes phréatiques, vecteurs essentiels de la lutte contre le réchauffement climatique: 26 des 50 indicateurs du changement climatique définis par l’ONU sont ainsi fournis par les données satellites.
Maxar, qui a développé une constellation de satellites d’observation, notamment en orbite géostationnaire, analyse par exemple la qualité et la répartition des espaces verts sur les territoires pour optimiser la thermorégulation. Spire, une des sociétés les plus avancées dans l’observation terrestre, analyse quant à elle la météo depuis l’espace pour optimiser l’implantation et le rendement d’infrastructures d’énergies renouvelables.
Les 200 nanosatellites de Planet en orbite basse prennent chaque jour environ 3 millions de clichés. L’entreprise les vend souvent accompagnés de logiciels d’analyse et de services à des entreprises de cartographie, des sociétés agricoles ou des ONG pour surveiller la déforestation ou le dérèglement climatique. Bien des secteurs et bien des entreprises sur Terre bénéficient déjà de la donnée et des technologies spatiales, et de nouveaux clients émergent, tels que les sociétés d’assurance ou du secteur de l’énergie.
La société d’assurance digitale Lemonade utilise ainsi les données spatiales issues de l’observation des aléas climatiques pour anticiper en temps réel les risques qui pourraient menacer ses assurés. Des entreprises dans l’énergie utilisent quant à elles des images spatiales pour détecter par exemple des fuites dans leurs pipelines.
L’écosystème spatial est florissant et les opportunités qu’il offre sont stratosphériques. Pesant aujourd’hui 400 milliards de dollars selon PwC, il pourrait atteindre 2700 milliards d’ici à 2045 d’après Bank of America Meryl Linch. Nous pourrons pleinement bénéficier de cette révolution, sans faire l’impasse sur les enjeux environnementaux et sociaux. L’espace 2.0 pourrait bien contribuer à relever d’immenses défis et, nous en sommes convaincus, à améliorer durablement les conditions de vie sur Terre.