Macroscope : l'édition du 05 juin
L’essoufflement du consommateur américain
Target, Home Depot, Dollar Tree, Lowe’s, Dollar General, Foot Locker, Macy’s… Ces entreprises américaines partagent deux points communs. Elles opèrent toutes dans le secteur de la grande distribution, et ont toutes récemment revu à la baisse leurs anticipations de croissance pour l’année, en particulier leurs attentes de chiffres d’affaires. Et toutes ont tenu des discours similaires pour justifier cette réduction de perspectives : la demande des consommateurs, qui ralentit nettement, devrait continuer à freiner ces prochains mois.
Ce moindre appétit des ménages américains s’explique par deux éléments. En premier lieu, même si l’inflation ralentit, les prix ont continué d’augmenter. Ils atteignent des niveaux qui commencent à heurter de manière trop importante le pouvoir d’achat des ménages, alors que la croissance réelle des salaires – c’est-à-dire l’inflation salariale diminuée de l’inflation des prix à la consommation – reste négative. Cela provoque un recul des volumes d’achats ainsi qu’une baisse des dépenses, accentuée par le report vers des produits plus low cost. Ce phénomène est confirmé par les commentaires du géant Walmart, l’une des rares entreprises du secteur à ne pas avoir révisé à la baisse ses prévisions, mais qui souligne toutefois ce changement de comportement des consommateurs.
La deuxième raison de cet essoufflement de la demande se niche dans les conséquences de la crise Covid. Entre confinements, restrictions sanitaires et fermetures diverses, la consommation de services a tourné au ralenti pendant près de deux ans, entraînant par ricochet une surconsommation de biens. Or, depuis plusieurs mois, la tendance s’est clairement inversée. S’ensuit une chute de la fréquentation des enseignes de distribution, alors que la demande pour les services de tourisme et de loisirs reste élevée. De ce point de vue, on pourrait être tenté de penser que les déboires de la grande distribution ne sont pas très inquiétants d’un point de vue macroéconomique, la consommation des ménages changeant simplement d’objet. La réalité est différente, et un peu moins rose.
Ces derniers trimestres, la consommation a en effet été alimentée par l’utilisation des surplus d’épargne accumulés pendant la crise Covid. Ces derniers ont à présent chuté d’au moins deux tiers au niveau global et, de façon plus nette encore, pour les ménages les moins aisés. Par ailleurs, les indicateurs avancés sur les tendances de consommation, qu’il s’agisse des enquêtes de confiance des consommateurs qui se dégradent ou du taux de constitution d’épargne qui remonte, ne sont guère rassurants.
La dynamique future de la consommation des ménages sera clé pour l’économie américaine. D’une part, structurellement, parce que la consommation représente plus des deux tiers du PIB américain. D’autre part, conjoncturellement, parce que la consommation des ménages a été l’unique support de la croissance américaine au premier trimestre. Si le consommateur américain continue à s’essouffler, alors que l’emploi montre de premiers signes – ténus – de retournement, on voit mal ce qui pourrait empêcher l’économie américaine de basculer en récession au cours des prochains mois.
Rédaction achevée le 02.06.2023 – Enguerrand Artaz, Fund Manager
Télex
► Freinage continu : ressortie en ligne avec les attentes mais toujours sur un niveau dégradé, la dernière enquête de l’ISM sur l’activité manufacturière aux Etats-Unis est plus mauvaise qu’il n’y paraît au premier abord. La stabilité des chiffres ne tient qu’à une légère amélioration de l’emploi et à une timide augmentation de la production, qui ne semblent dues qu’aux rattrapages des arriérés de production. Car en parallèle, les nouvelles commandes décroissent à un rythme élevé – et jamais vu hors récession – tandis que les carnets de commandes connaissent une baisse plus forte qu’au creux de la crise Covid, la plus importante depuis octobre 2008. Une telle dynamique devrait assez vite entraîner une chute de la production… et par ricochet une baisse des effectifs.
► Première lueur : l’inflation en zone euro est ressortie inférieure aux attentes pour le mois de mai et s’inscrit en nette baisse par rapport à avril, passant de 7,0% sur un an à 6,1%. Plus important, l’inflation sous-jacente connaît sa première véritable inflexion, en passant de 5,6 à 5,3%. L’accalmie paraît généralisée tant du côté des biens que des services, même si pour ces derniers, elle est accentuée par la mise en place de tickets de transports à prix très réduits en Allemagne. C’est un bon premier signal pour la Banque centrale européenne, qui attendra sans doute confirmation de ces chiffres sur quelques mois avant de revoir sa trajectoire de politique monétaire.